Capbreton - N°88 - Novembre/Décembre 2008

L’Atlantique à bout de bras

Trois championnes de sauvetage côtier envisagent de rallier l’île du Cap-Breton au Canada à Capbreton dans les Landes à bord d’un paddle board. Un projet totalement inédit qui les amènerait à parcourir quelque 5 000 kilomètres.

 

sl88-8ar.jpgElles auraient pu incarner les Drôles de dames, ces trois détectives jeunes et jolies, aux caractères très différents mais totalement inséparables, qui réalisent régulièrement des missions d’ordinaire plutôt attribuées à la gent masculine. Mis à part le côté «justicières» (quoique), la description colle assez bien à Stéphanie Geyer-Barneix, Alexandra Lux et Flora Manciet. Ces Capbretonnaises cumulent à elles trois de multiples titres de championnes de France et d’Europe et quatre titres de championnes du Monde de sauvetage côtier. Mais comme si ce palmarès impressionnant ne suffisait pas, elles ambitionnent aujourd’hui de réaliser un véritable exploit, un défi un peu fou… voire totalement dément : traverser l’Atlantique Nord à la force des bras !

Sauveteuses professionnelles sur les plages landaises depuis plusieurs années, les trois jeunes femmes utilisent régulièrement des planches de sauvetage, appelées paddle board. C’est à bord de ces frêles esquifs qu’elles ont l’intention de parcourir les quelque 5 000 kilomètres (2 537 milles nautiques) qui séparent l’île du Cap-Breton au Canada à Capbreton dans les Landes. Un périple impressionnant quand on sait qu’à ce jour la plus longue distance jamais parcourue sur ce type de planche est de 300 kilomètres !

Mais l’ampleur de la tâche n’affole pas les trois championnes. En athlètes de haut niveau, elles appréhendent la course avec sérénité et en ont déjà anticipé tous les aspects. «Le départ est prévu de l’île du Cap-Breton à la mi-juin 2009», annonce Stéphanie Geyer-Barneix, 33 ans, initiatrice de l’aventure.

sl88-9ar.jpgLes sportives ont choisi cette date afin que l’eau soit la moins froide possible. A ces latitudes canadiennes, elle ne dépassera pourtant guère les dix degrés. Aussi se hâteront-elles de «rejoindre le Gulf Stream». Ce courant marin chaud de l’Atlantique devrait rendre leur périple plus supportable. Mais ce sera bien là le seul «confort» qu’elles s’accorderont, car les conditions de course qu’elles se sont imposé frôlent le masochisme. Ainsi, afin de rallier Cap-Breton à Capbreton, elles envisagent de se relayer sur la planche toutes les deux heures, de jour comme de nuit. A ce rythme, «nous espérons parcourir 100 kilomètres par jour», explique Alexandra Lux, 23 ans, la benjamine du groupe. Si elles y parviennent, elles pourraient parcourir les 5 000 kilomètres en trois mois…

Un tel exploit ne s’improvise évidemment pas. Même si les trois aventurières ont déjà de nombreuses années de pratique, «nous sommes entrées dans une phase de préparation intensive», précise Flora Manciet, 25 ans. Natation, musculation, endurance et rame sont au programme, deux fois par jour. Et pour se mettre en situation, dans des conditions relativement équivalentes à ce qu’elles vivront à leur départ du Canada, «nous réaliserons en fin d’année une traversée test entre la Bretagne et Capbreton». Déjà, si elles y parviennent, elles battront le record de la discipline, puisque la distance à parcourir avoisine les 600 kilomètres.

Outre un entraînement physique intense, les filles bénéficieront d’une préparation mentale poussée. Elles se sont également attaché les conseils d’un médecin du sommeil, car leur rythme effréné (deux heures de rame, quatre heures de repos) ne sera vraiment pas naturel. Enfin, elles pourront compter sur les recommandations avisées du parrain du projet : le navigateur Yves Parlier (trois participations au Vendée Globe, vainqueur entre autres de la Transat Jacques Vabre en 1997 et de la Solitaire du Figaro en 1991). «Mon rôle est de leur apporter toute mon expérience de la haute mer, notamment pour tout ce qui est positionnement, météo et équipement de la planche», indique-t-il.

Car si les corps et les esprits devront être au top niveau, il en va de même du matériel. Muni d’un gouvernail, le paddle board, de 5,15 mètres sur 60 centimètres de large, est légèrement caréné à l’avant afin de fendre plus facilement la houle. Une platine légère est installée à l’avant afin d’y fixer un compas, un GPS (système de positionnement par satellite), un réservoir d’eau de type «camel bag», une balise ainsi que des fusées de détresse. «Nous serons accompagnées tout au long de l’aventure par un bateau d’assistance qui accueillera à son bord les deux rameuses en stand-by», reprend Alexandra Lux. Il récupérera également la rameuse en action dès que les conditions de sécurité ne seront pas réunies, en cas de forte tempête notamment. «Dans ces cas-là, nous relèverons les données GPS pour reprendre au même endroit le plus tôt possible», précise Stéphanie Geyer-Barneix.

Reste que si tout est mis en œuvre pour que la sécurité soit optimale, la traversée restera dangereuse. Outre la houle, les trois compétitrices devront composer avec les requins, les glaces et le trafic maritime… Des risques dont elles sont tout à fait conscientes et qu’elles ont parfaitement intégrés. «A vrai dire, nous nous sommes déjà préparées au pire : que l’une de nous se blesse… ou meure. Et dans ce cas-là, si elles s’en sentent capables, les deux autres termineront le voyage, seules.»

 


Bien plus qu’un projet sportif

La traversée de l’Atlantique Nord à la seule force des bras revêt bien évidemment un aspect sportif. Mais ce n’est pas la seule dimension que Stéphanie Geyer-Barneix, Alexandra Lux et Flora Manciet ont voulu donner à leur périple. Ce dernier aura deux autres buts, à la fois pédagogique et scientifique.

Les trois jeunes femmes ont voulu associer les écoliers de Cap-Breton et de Capbreton à leur aventure. Un échange culturel se mettra en place entre les petits Acadiens et les petits Landais à travers la réalisation d’un reportage sur les modes de vie de chacun. Les enfants seront également impliqués dans la rédaction du journal de bord des rameuses grâce aux informations qu’elles leur enverront régulièrement via Internet.

L’autre aspect de la traversée sera scientifique. Le bateau d’assistance qui accueillera les sportives lors des périodes de repos comptera en effet une équipe scientifique du CNRS (centre national de la recherche scientifique) et de l’Ifremer (institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Dans cette expédition qui progressera sans moteur (le bateau accompagnateur sera un voilier), à une vitesse relativement réduite (trois nœuds en moyenne), les participants pourront observer certains phénomènes. Les oiseaux marins et les cétacés pourront être approchés facilement tandis que des relevés de plancton seront effectués quotidiennement pour voir l’effet du réchauffement climatique sur la qualité et la quantité de nourriture disponible pour les jeunes poissons.


Le coût de l’exploit

Il va falloir ramer… et pas seulement pour traverser l’Atlantique, mais aussi pour réunir le budget nécessaire à l’aventure. «Le bateau et les communications via Internet coûtent très cher», indique Stéphanie Geyer-Barneix. Il faudra également payer le ravitaillement, les équipes d’accompagnateurs (médecins, scientifiques, équipage), le matériel... Au total, c’est une somme de 850 000 € qu’il va falloir réunir avant de se mettre à l’eau. Encore à la recherche de partenaires, les trois jeunes femmes présenteront leurs sponsors lors du salon nautique de Paris, début décembre.

 

Photos Xavier Ges

 

C'est à bord d'un paddle board comme celui-ci que les trois athlètes réaliseront leur pari.

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