Tonton surfeur de la première heure
Jacky Rott est l’une des légendes qui a donné son empreinte pour orner la promenade du front de mer. Ce Dacquois de 75 ans est le premier français à avoir tenu debout sur une planche de surf. C’était en 1957, sur la plage nord.
Jusqu’en 1951, Jacky Rott ignorait que tenir debout sur une planche au milieu de l’océan était chose possible. L’idée n’avait même jamais effleuré l’esprit de celui qui pratiquait pourtant le «planky», l’ancêtre du bodyboard. Ce n’est qu’en décembre de cette année-là qu’il découvre la discipline. Assis dans une salle de cinéma avec son frère, il regarde les actualités qui précèdent le film. «Il y avait un reportage à l’occasion du dixième anniversaire de l’attaque des Japonais sur Pearl Harbor. Sur les plages d’Hawaï, on voyait des militaires américains s’adonner à leurs sports favoris. Les uns jouaient au basket-ball, d’autres au tennis ou au football américain. Et puis tout à coup, on en a vu un dévaler une vague debout sur une planche. Je suis resté scotché ! Je ne me souviens pas quel film je suis allé voir ce jour-là, mais je n’ai jamais oublié ces quelques secondes.» De retour chez lui, il n’a plus qu’une idée en tête : fabriquer sa propre planche.
Il s’y attelle au printemps 1952. «L’inconvénient, c’est que je n’avais pas bien eu le temps d’observer la planche, tellement la séquence avait été furtive.» Mais l’homme évolue dans la fabrique familiale de meubles et de talons de chaussures pour dames et maîtrise donc le travail du bois. «J’ai réalisé un grand planky spatulé comme un ski, en bois plein parfaitement lisse.» En juillet, avec deux amis, il décide d’aller tester sa planche sur la plage de la Chambre d’Amour à Anglet. «Nous avons dû demander l’autorisation au guide baigneur pour mettre cet engin à l’eau. Il nous a demandé de nous éloigner de la zone de baignade pour qu'on ne blesse personne.»
Vu le poids de la planche, ils ne sont pas trop de trois pour l’emmener au large. «A la première vague, je me suis mis à plat ventre, j’ai commencé à ramer… mais la planche a glissé et est partie sans moi !» Deux autres essais ne donneront pas de meilleurs résultats. L’après-midi, il retente sa chance à Ilbarritz sans plus de succès. La planche finit même par se fendre dans les rochers. L’expérience tourne court.
En 1953, Jacky Rott part faire son service militaire, «dix-huit mois à Toulon». A son retour en 1955, il assiste à une conférence sur «Hawaï, île de rêve», dans le cadre du cycle Connaissance du monde. Durant la projection, de longues séquences sont consacrées au surf. Enthousiasmé, il souhaite plus de renseignements de la part du conférencier. Mais ce dernier ne voudra pas répondre à ses questions. Heureusement, cette fois, il a eu le temps de bien observer le matériel des surfeurs. Il s’apprête à fabriquer son deuxième prototype lorsqu’il est rappelé sous les drapeaux pour la guerre d’Algérie. Il ne reviendra qu’en décembre 1956.
Dans l’intervalle, à l’occasion du tournage du film Le Soleil se lève aussi, tiré du roman d’Hemingway, les Californiens Peter Viertel et Dick Zanuck viennent à Biarritz. A la vue des vagues, le deuxième qui pratique le surf se fait envoyer une planche des Etats-Unis. Mais le temps qu’elle arrive, il est déjà reparti. C’est Peter Viertel qui tentera sa chance dans les vagues basques. Sans succès. La planche termine sa course dans les blocs et se casse. Il confie la réparation à un artisan, Georges Hennebutte, qui gardera la planche en dépôt lorsque l’Américain repartira pour la Californie.
A son retour d’Algérie, Jacky Rott obtient l’autorisation de Georges Hennebutte de prendre les cotes de la planche. Muni de ces précieuses informations, il en fabrique deux en balsa. Pour les imperméabiliser, il les fait stratifier par les forges d’Uza. Après l’opération, les planches, qui étaient légères, pèsent près de trente kilos ! Qu’à cela ne tienne, c’est avec ça qu’il fera un nouvel essai. D’autant que cette fois il a obtenu une information capitale. Un fabricant de chaussures de Saint-Paul-lès-Dax, pour lequel il réalise des talons, et qui possède de la famille en Californie, lui explique que les surfeurs américains utilisent de la paraffine pour ne pas glisser de leur planche. «La seule paraffine que j’ai trouvée, c’est celle que ma mère utilisait pour ses confitures», sourit le septuagénaire.
Au printemps 1957, il se lance à Hossegor. «J’ai choisi un jour de la semaine, pour être sûr qu’il n’y ait personne. Je ne voulais pas qu’on se moque encore de moi en cas d’échec.» Sous les yeux de son père, de sa mère et de son frère, il se met à l’eau au niveau de l’ancien épi nord. «A la première vague, j’ai réussi à me mettre debout et je suis arrivé comme ça jusqu’au sable. Si j’avais encore rencontré un échec, je ne sais pas si j’aurais réessayé car il faisait très froid et, à cette époque, il n’y avait pas de combinaison. Mais j’étais tellement content que j’ai pris plusieurs vagues à la suite.» Fort de cette première expérience, le jeune homme peut maintenant se lancer en public. Il retourne à Biarritz et fait des émules. Le surf français est né.
Par la suite, Jacky Rott remportera le championnat de France de surf en 1961, avant de participer aux championnats du monde au Pérou en 1962. Il se lancera même dans la fabrication de planches de surf et, avec Michel Barland, lancera les premiers modèles en plastique. C’est pour ce parcours de pionnier que la Fédération française de surf a voulu que son empreinte figure parmi celles des légendes du surf sur la promenade du front de mer. Une distinction qui a fait très plaisir au tout jeune retraité de 75 ans (propriétaire d’un établissement thermal à Dax, les Thermes des Arènes, il a cessé son activité en mars dernier). Il ne regrette qu’une chose. «A côté de ma signature, j’ai noté 2007, comme l’ont fait tous les champions qui étaient là (voir photo page 10). J’aurais dû marquer 1957-2007. Car aujourd’hui, mon nom ne veut plus rien dire. C’est juste une anecdote.» Une anecdote à laquelle on doit tout de même l’avènement d’un sport devenu phare sur toute la Côte Atlantique…
Janvier/Février 2019
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